Récit couvrant une période depuis 2012 dans la vie de Daniel MATHIEU, face à l'ultimatum de rares maladies incurables (cholangite sclérosante primitive et rectocholique hémorragique). Dès le diagnostic tombé, survient le rappel de mettre de l'ordre dans sa vie avant qu'il ne soit trop tard : quelques mois tout au plus ! Entre les symptômes qui s'accélèrent, les malaises qui s'enchaînent, les examens qui se suivent, les traitements aux effets incertains et la transplantation du foie, la menace d'ablation du colon, le chronomètre décompte l'approche d'une échéance prochaine et définitive. Une course abracadabrante d'espoir, d'avenues improbables, de questionnements, de la médecine, du miracle tant espéré et de ses conséquences insoupçonnées.

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mercredi 9 décembre 2015

AIMER, AU DELA DE LA MALADIE


Aimer


J’ai rencontré l’homme de ma vie à 15 ans, mais je l’ai «attendu» jusqu’à nos 20 ans, âge auquel il m’a dit qu’il m’aimait et voulait vivre avec moi. Nous avons eu la chance de vivre 34 ans ensemble, et d’avoir 3 enfants qui sont notre amour mis en vie.

Il est mort d’un cancer des os il y a quatre ans, après beaucoup de souffrances devant lesquelles la médecine était impuissante.

Voir souffrir autant l’homme que j'aimais et ne rien pouvoir faire a été une épreuve cruelle.

Avec le temps, ce souvenir-là s’apaise. Et le plus beau moment que j’ai eu la joie de partager avec lui a été, quelques jours avant sa mort, quand il m’a dit qu'il ne voulait que moi ce jour-là. Je suis restée tout près de lui, et la grâce m’a portée : pour la première fois depuis le début de sa maladie, quand je voulais si fort qu’il guérisse, quand je croyais que mon amour allait le sauver, j’ai pu ne rien «vouloir» pour lui. J’ai réussi à être avec lui, tout simplement, à accepter et supporter de le voir traverser la souffrance, la peur, puis l’apaisement. Expérimenter l’Amour au-delà de la peur de le perdre, qu’il me laisse toute seule, et de mon chagrin de devoir continuer à vivre sans lui.

Ce que j’ai ressenti entre nous a été extraordinaire. Comme si j’avais eu accès au seul endroit où se trouve l’amour véritable : ne rien vouloir pour l’autre, juste être là, ensemble, et goûter la vie qui est là, la joie indicible…

Depuis, je ne suis plus la même.

Je sais que souvent, sans le vouloir, en croyant bien faire, on oublie l’essentiel, et on s’épuise pour rien. En croyant qu’on sait ce qui est bien pour ceux qu’on aime, ou en faisant les choses à leur place, on se prive et on les prive du meilleur que la vie nous donne : la joie d’être sur son chemin de vie, quel qu’il soit…

Seul le nôtre nous appartient.

Ainsi, accueillons celui qui croise notre chemin, donnons ce que nous avons sans vouloir de retour, mais recevons ce qu’il nous donne avec gratitude. C’est ça, partager, vraiment…

Je continue à vivre, parce que je me sens accompagnée par lui, parce que j’ai des signes forts qui m’aident, parce que nos enfants le continuent, parce que je suis heureuse d’être là et de les regarder vivre leur vie, parce que je n’ai plus peur de mourir, et parce que je sens qu’on se rejoint dans le sommeil, en attendant de se rejoindre dans l’au-delà.



Anne Courbière
Agadir, Maroc

Source : http://www.matinmagique.com / Aimer : 9 décembre 2015